Chronique : Mako, Les Eaux Troubles

Je suis un sale type. Je sais, je l’ai déjà écrit dans la chronique précédente mais il est important de réitérer ici cette affirmation. J’étais en outre en passe de devenir un de ces snobinards de la littérature que je hais pourtant avec une férocité rare : j’ai toujours préféré les auteurs anglo-saxons aux auteurs francophones. Un véritable nase vous dis-je. Et fier de l’être en plus. Aussi regardais-je de haut -j’ai une réputation à tenir hein- le polar et le roman noir français : Grangé me décevait avec une régularité métronomique, Thilliez me gâchait le plaisir avec des fins de roman trop pointilleuses, Vargas me laissait froid et Manchette devenait bavard… Bref, j’étais colère et déception.  Autant vous dire que quand des voix pressantes m’ont gentiment intimé l’ordre de -je cite- « fermer mon clapet » et de lire les aventures du Major Makovski (Mako et les Eaux Troubles -anciennement Le Roi des Crânes) j’y allais à reculons en m’accrochant au chambranle de la porte de mon taudis bramant que « jamais au grand jamais, je ne lirai de ces choses-là, môssieur, je lis Ellroy, Mailer et Steinbeck moi môssieur ! ». Mais, comme je le disais pas plus loin que quinze lignes plus haut : je suis un sale type. Doublé d’un idiot, qui plus est.

Ceci étant établi, d’autres précisions -plus sérieuses celles-là- sont nécessaires car elles ont leur importance : Laurent Guillaume est policier, autant vous dire qu’il sait très exactement de quoi il parle.

>La première qualité de ces deux romans est là : ce que nous raconte l’auteur -à défaut d’être réellement arrivé (en suis-je si sûr ?)- a le cachet de l’authenticité dure, froide, terrifiante parfois, du quotidien d’un flic français qui opère dans nos banlieues troublées.

Si cela se résumait à ces deux constats on pourrait penser que Laurent Guillaume se borne à nous faire un compte rendu fidèle de son métier, ce qui, dans le cadre romanesque, serait d’un intérêt relativement limité malgré une indéniable valeur documentaire…

« On ne devrait lire que des livres qui vous mordent et vous piquent… Un livre doit être la hache qui brise la mer gelée en nous. » disait Franz Kafka.

Rarement cette affirmation n’a trouvé meilleur écho que dans ces deux livres. Voyez-vous, ces livres sont noirs, très noirs, dérangeants, brutaux, sans concession.

Si je devais en assimiler la lecture à une sensation physique, elle ne pourrait être que violente : un direct à la mâchoire, un autre au foie, de ceux qui vous laissent à genoux le champ de vision plein de phosphènes… autant dire qu’il est inutile d’espérer sortir de leur lecture aussi vierge qu’on y est entré.

Et il y a Mako… ah ! Mako.

Il est usé Mako, il roule sur la jante, fatigué, désabusé, en a trop vu, trop fait, il en a pris plein le museau. Et pourtant, il a toujours en lui cette petite lueur d’espoir, telle un phare en bout de course en plein brouillard, à peine visible, à la limite de l’extinction. Parce qu’il a un gros défaut Mako : il est humain. Il pense aux victimes, les veille parfois à l’hôpital. Il arrive encore à aimer, mal, trop peu parfois, mais il y arrive encore. Parfois, il pense aux coupables, ceux dont il voudrait piétiner la gueule à coup de bottes de moto mais il ne le fait pas. Presque pas. C’est un bon flic Mako, pas un méchant. Il pense aux petits camés, carbonisés par la blanche, il a pitié. Parfois.

Il a un ami aussi, Keita le flic noir qui irradie de lumière, alors que Mako le blanc suinte les ténèbres ; les deux faces d’une même pièce.

Mako, c’est Clint Eastwood. Pas celui de l’Inspecteur Harry, non. Celui de « La Corde Raide », un funambule nocturne, bouffé par ses démons, en lutte perpétuelle pour ne pas céder, ne pas craquer. Jamais.

Tout n’est pas si noir heureusement : l’auteur sait distiller, ce ci de là, des moments plus légers teintés d’un humour cinglant, mordant, s’inspirant de certaines scènes cinématographiques- le duo Keita/Mako rappelle parfois diablement celui de Riggs/Murtaugh- ou rendant directement hommage à Audiard à travers de savoureuses répliques.

Plus que l’intrigue -certes rondement menée et irréprochable dans sa construction- ces deux romans frappent par la justesse et l’humanité avec laquelle les personnages sont dépeints. C’est particulièrement vrai pour Mako. Personnage toujours à la limite, vivant dans un monde crépusculaire, habité d’une colère sourde, d’une douleur permanente, soulagée seulement par des amours fugaces, parfois trahies, parfois mortelles, Mako est trop humain, trop fort et trop faible, trop conscient, trop lucide. Alors on l’aime Mako, on a mal avec lui, on est en rogne avec lui, on doute avec lui. Parce qu’il est un homme.

Et on ne veut pas qu’il meure. Surtout pas.

Mako et Les Eaux Troubles de Laurent Guillaume. Le Livre de Poche. Polar.


2 réflexions sur “Chronique : Mako, Les Eaux Troubles

  1. Je n’ai lu que « Doux comme la mort » de Laurent Guillaume, qui est magnifique. Je me pencherai sur ces deux là à coup sur.
    Si les gens n’ont pas envie après ta chronique, laissons tomber 😉

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